Revue fixxion, appel à contributions „L’ailleurs par temps de mondialisation“
L’ailleurs par temps de mondialisation
dirigé par Charles Forsdick, Anna-Louise Milne et Jean-Marc Moura
La Revue critique de fixxion française contemporaine est une revue scientifique à vocation internationale qui accueille des contributions portant sur la littérature contemporaine française d’après 1980. Ouverte à la littérature de France comme à celle de la Francophonie, cette revue bilingue associe universitaires et écrivains dans une réflexion sur les formes que prend aujourd’hui l’écriture. Tournée vers l’époque charnière entre le XXe et le XXIe siècle, la revue acceptera des contributions rédigées indifféremment en français ou en anglais et s’efforcera de s’ouvrir à un vaste champ d’écrivains et d’approches.
Revue fondée par Pierre Schoentjes
L’ailleurs est une possibilité narrative dont les séductions demeurent intactes, même s’il s’est singulièrement rapproché en ce début de siècle placé sous le signe de la mondialisation. Entendu ici comme un espace géographiquement et historiquement situé – à la différence des mondes imaginaires, de la Garabagne à l’utopie ou à la science-fiction –, il constitue une scène où l’Autre devient accessible et où l’altérité est mesurée à partir d’un être-au-monde commun, d’une histoire partageable. Il permet ainsi une confrontation avec l’inconnu à laquelle peut être attribuée une salutaire qualité de dépaysement, parfois même une valeur initiatique, comme ce fut le cas pour J.M.G. Le Clézio avec les Indiens du Mexique ou, dans la direction inverse, pour Idriss dans La Goutte d’or de M. Tournier.
Le temps est-il encore au récit de voyage ?
Michel Butor (la série des Génie du lieu) ou Nicolas Bouvier (L’Usage du monde) en ont renouvelé les cadres, mais l’arpentage du monde suit peut-être aujourd’hui d’autres voies, dans le sillage de Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie), de Patrick Deville (Kampuchéa), d’Olivier Rolin (Le météorologue) ou de son frère Jean (Peleliu). Le roman du voyage, si le terme convient, permet de mettre en place une morale de l’action que les circonstances historiques de l’Europe permettent difficilement d’imaginer, et il garde aussi une importance critique, parce qu’il favorise une prise de conscience des clichés. Les modalités de la mise à distance sont alors multiples, allant de l’échange au rejet, du respect ambigu à la mesure de soi-même. Mais, dans sa version industrielle, celle du tourisme de masse, le voyage devient lui-même objet de satire, chez Michel Houellebecq évoquant le tourisme sexuel (Plateforme) ou chez Laurent Mauvignier dans Autour du monde. Les positions ne sont néanmoins pas toujours aussi tranchées, et le même Mauvignier peut avec Continuer attribuer au voyage une valeur éducative, voire rédemptrice. Ne reste-t-il, dans un monde voué à la spécialisation folklorique et au catalogue de la patrimonialisation, que des ailleurs de pacotille ? Ou au contraire la mondialisation induit-elle une nouvelle morale du regard ?
Où trouver cet ailleurs qui s’évanouit ?
Dans un renversement significatif, c’est moins vers l’Ouest que se tourne une génération récente que vers une Russie à la fois littéraire et réelle. C’est sur les traces de grands écrivains d’autrefois, à l’instar de Dumas, Custine, Mme de Staël, Diderot et de tant d’autres, que vont (vers l’Est) Maylis de Kerangal (Tangente vers l’est), Sylvie Germain (Le Monde sans vous), Olivier Rolin (Sibérie), Dominique Fernandez (Transsibérien), Mathias Enard (L’Alcool et la Nostalgie), ou encore Danièle Sallenave (Sibir). On peut encore y ajouter Cédric Gras (Vladivostok, Neiges et moussons), Eric Faye et Christian Garcin (En descendant les fleuves), la Québécoise Astrid Wendlandt (Au bord du monde), ou la Suissesse Aude Seigne (Chroniques de l’Occident nomade).
Cet ailleurs peut être géographiquement proche de la France, comme dans le cas de ce qu’on nomme la “francophonie du Nord”, pour des auteurs tels le Belge Pierre Mertens, les Suisses Jacques Chessex et Aude Seigne ou les Québécois Réjean Ducharme et Astrid Wendlandt, avec l’itinéraire si particulier entre Québec, Orient et France d’un Wajdi Mouawad. Ou plus éloigné quand il s’agit de l’Afrique, qu’elle soit du Nord – on songe au Maghreb d’un Tahar Ben Jelloun, d’un Rachid Boudjedra, d’un Kamel Daoud ou d’un Kebir Ammi – ou subsaharienne. Aux grands auteurs post-coloniaux ont succédé des écrivains tels Gaël Faye, Alain Mabanckou, Leonora Miano ou Tierno Monénembo qui souvent évoquent leur relation à ce territoire français ressemblant pour eux à un ailleurs sans l’être vraiment. Ils le font parfois sur le mode humoristique (Abdourahman Waberi, Aux Etats-Unis d’Afrique). On peut aussi songer aux ailleurs de l’océan Indien, évoqué dans les œuvres de Natacha Appanah, Ananda Devi ou Jean-Luc Raharimanana, ou de l’océan Pacifique, chez Chantal Spitz ou Déwé Gorodé.
La question est moins de spatialiser les relations que de se demander ce que ce pivotement de point de vue apporte et comment il renouvelle les formes narratives. Les Caraïbes – que ce soit Haïti, notamment décrite par Dany Laferrière et Louis-Philippe Dalembert, ou les Antilles – sont propices à ce décalage du regard et des langues. Maryse Condé (Hérémakhonon) ou Simone Schwarz-Bart (Ti Jean L’Horizon) s’intéressent à la relation entre l’Afrique et l’archipel caribéen, qui peut d’ailleurs être envisagée dans le souvenir de la sinistre traversée transatlantique (Edouard Glissant, Sartorius ; Patrick Chamoiseau, L’Esclave vieil homme et le molosse). On peut aussi, comme Glissant, tenter de penser la relation entre les différentes îles des Caraïbes, comme autant d’ailleurs les unes pour les autres, avant d’envisager une relation générale mettant en mouvement tous les ici et tous les ailleurs (Tout-Monde et Traité du Tout-Monde).
Ce décentrement concerne évidemment les écrivains de langue française issus d’espaces non francophones. Vassilis Alexakis, François Cheng, Dai Sijie, Nancy Huston, Milan Kundera ou Andréï Makine, parmi bien d’autres auteurs, appartiennent au paysage littéraire français, tout en se réclamant d’un ailleurs originel qui confère à leur œuvre sa singularité et qui, en même temps, vient subtilement brouiller les frontières entre les cultures.
Un ailleurs de quoi ?
L’ailleurs supposait un centre, dont il fallait s’arracher. Mais sur une terre globalisée, aux centres multiples et mobiles, comment continuer de penser cet envers ? Que se passe-t-il quand c’est de l’ailleurs que s’opère ce renversement ? Quels en sont les modes nouveaux de récit ? Il sera indispensable de faire une part importante aux écrivains qui écrivent en français sans être Français, parce qu’ils instaurent, à partir de leur culture, une relation particulière entre ici et ailleurs, une condition créatrice hybride où les termes de l’identité et du lieu se voient brouillés.
Comment les auteurs construisent-ils ou déconstruisent-ils les relations entre un ici et un ailleurs ? Quels types de représentation en donnent-ils ? Quels sont les formes, les buts, les effets de ces écritures contemporaines de l’ailleurs ? On pourra éventuellement poser la question des médiations culturelles, sociales, idéologiques qui orientent le regard d’un écrivain, qui le précèdent et le déterminent, parfois à son insu, constituant un élément décisif pour la genèse d’une œuvre.
Telles sont quelques-unes des questions que le prochain dossier de Fixxion voudrait poser, dans les limites de la production romanesque en langue française depuis les années 1980. On privilégiera les études problématiques plutôt que monographiques. Il s’agit moins de cartographier les lieux possibles d’un exotisme dépassé que se demander ce que la mondialisation produit comme figures – paradoxales, retournées, réactivées – de l’ailleurs.
Bibliographie secondaire :
Amselle, J.L., Rétrovolutions. Essais sur les primitivismes contemporains, Paris, Stock, 2011
Appadurai, A., Modernity At Large: Cultural Dimensions of Globalization. Minneapolis, U. of Minnesota Press, 1996
Apter, E.,The Translation Zone: A New Comparative Literature, Princeton U.P., 2006
Ascari, M., Literature of the Global Age: a Critical Study of Transcultural Narratives, Mc Farland Publ., 2011
Belleau, Jean-Philippe, Ethnophilie. L’amour des autres nations, Presses Universitaires de Rennes, 2015
Beniamino, M. : La Francophonie littéraire. Essai pour une théorie, Paris, L’Harmattan, 2000
Damrosch, D., World Literature in Theory, Wiley/Blackwell, 2013
Ette, O., ZwischenWelten Schreiben, Berlin, Kadmos, 2005
Gauvin, L., La Fabrique de la langue, Paris, Seuil, 2004
Hargreaves, A., Forsdick, C., Murphy, D. (éds): Transnational French Studies. Postcolonialism and Littérature-monde, Liverpool U.P., 2012
McDonald, C., Suleiman, S. (dir.), French Global. A New Approach to Literary History, Columbia U.P., 2010
Moretti, F., “Conjectures on World Literature”, New Left Review (Jan-Feb. 2000)
Porra, V., Langue française, langue d’adoption. Une littérature “invitée” entre création, stratégies et contraintes (1946-2000), Hildesheim-New York, Georg Olms Verlag, 2011
Provenzano, F., Historiographies périphériques. Enjeux et rhétorique de l’histoire littéraire en francophonie du Nord, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2011
Sapiro, G. (dir.), Les Contradictions de la globalisation éditoriale, Paris, Editions du Nouveau Monde, 2009
Les propositions de contribution, environ 300 mots en français ou en anglais, sont à soumettre par le biais du site et à envoyer d’ici le 1er juin 2017 à Charles Forsdick, Anna-Louise Milne et Jean-Marc Moura.
Les articles définitifs seront à remettre avant le 1er décembre 2017 sur ce site (Soumissions) pour évaluation par le comité de la Revue critique de fixxion française contemporaine.
La revue accepte également des articles hors problématique du numéro.