
Hörspiel und Nouveau Roman
Aventures radiophoniques du Nouveau Roman
Tagungsbericht von Beatrice Nickel fĂĽr Heft 4 der Romanischen Studien
Colloque organisĂ© par l’universitĂ© Paul ValĂ©ry Montpellier (Pierre-Marie HĂ©ron et Annie Pibarot, centre de recherche RIRRA 21), en partenariat avec l’universitĂ© de Stuttgart (Françoise Joly et Beatrice Nickel), avec le soutien de l’Institut universitaire de France. Du 19 novembre 2015 au 20 novembre 2015, Montpellier (France)
Si contestable qu’elle semble dĂ©jĂ Ă l’époque et plus encore aujourd’hui que ses grands reprĂ©sentants (Claude Simon, Nathalie Sarraute, Michel Butor…) apparaissent dans leur irrĂ©ductible originalitĂ©, l’appellation « Nouveau Roman » reste commode pour dĂ©signer un certain nombre d’aventures littĂ©raires des annĂ©es 1950 et suivantes, apparentĂ©es par un commun besoin de rupture avec une certain mode d’emploi du genre romanesque… et par l’habiletĂ© mĂ©diatique de Robbe-Grillet. Elle reste commode, Ă condition de ne pas donner au groupe qu’elle identifie des contours trop prĂ©cis et d’y inclure aussi, comme cela se faisait parfois Ă l’époque, un Samuel Beckett, une Marguerite Duras… sans oublier des auteurs de moindre envergure comme Jean Thibaudeau, Claude Mauriac, Monique Wittig Ă ses dĂ©buts (l’auteur de L’Opoponax)… Ă€ condition aussi de ne pas limiter ces auteurs Ă leurs romans ni mĂŞme Ă leurs livres, puisque tous ou presque ont investi d’autres territoires artistiques : théâtre, cinĂ©ma, radio notamment.
Ces aventures radiophoniques des auteurs estampillĂ©s « Nouveau Roman » restent globalement mal connues sauf exception (Beckett), et dans tous les cas beaucoup moins que leur travail pour le théâtre et surtout le cinĂ©ma, dont l’influence sur le mode d’Ă©criture romanesque semble aujourd’hui reconnu. Michel Butor Ă©crit pour la radio RĂ©seau aĂ©rien (1962) et 6810000 litres d’eau par seconde (1965). Claude Ollier est l’auteur d’une douzaine de « jeux acoustiques » entre 1966 et 1996, conçus comme des compositions sonores. De La Manivelle / The Old Tune (texte de Beckett) en 1960 Ă Mortin pas mort (1984) et De rien (1989), Robert Pinget produit une petite douzaine de « pièces radiophoniques » privilĂ©giant les formes de l’interview, de l’enquĂŞte et du dialogue. Pour Nathalie Sarraute, de Silence (1964) Ă Isma (1972) et Elle est lĂ (1977), la radio est la voie d’un renouvellement après Les Fruits d’or (1963). De l’adaptation d’Un barrage contre le Pacifique en 1955 Ă L’après-midi de Monsieur Andesmas (1965, adaptation de l’auteur) et India Song en 1974, enregistrĂ© Ă la radio pour servir de bande-son Ă son film culte de 1975 (puis utilisĂ© pour Son nom de Venise dans Calcutta dĂ©sert, 1976), Marguerite Duras nourrit un travail sur le pouvoir fĂ©tichiste de la voix dont sa production cinĂ©matographique ultĂ©rieure conserve l’empreinte. Etc. La plupart de ces Ĺ“uvres « pour l’oreille » rĂ©sultent de commandes de la SDR de Stuttgart ; certaines de la BBC et de la RTF/ORTF.
Programme
Jeudi 19 novembre
Séance animée par Mireille Calle-Gruber
10h Carrie Landfried: Facteurs décisifs dans la collaboration entre la BBC et les Nouveaux Romanciers
Grâce aux archives importantes conservées par la BBC, on peut tracer les rapports entre la radio britannique et les Nouveaux Romanciers tels Robert Pinget, Marguerite Duras, et Nathalie Sarraute. Une analyse de la correspondance entre la direction, les auteurs et les producteurs et des avis d’auditeurs nous éclairera sur les décisions prises, la durée, et la teneur de ces collaborations capitales.
10h 45 Françoise Joly et Beatrice Nickel: L’« École de Stuttgart » et les pièces radiophoniques du Nouveau Roman. Quelques pistes de réflexion
Au moment où le Süddeutscher Rundfunk commandait et diffusait des pièces radiophoniques d’écrivains du « Nouveau roman », ce qu’on appellera plus tard « l’École de Stuttgart » réunissait autour du philosophe et sémioticien Max Bense des écrivains, des artistes visuels, des typographes et des musiciens dont la réflexion se nourrissait de concepts tels que concret et informel », « ars acustica », « poésie phonétique » ou « cybernétique ». Leurs relations avec la radio de Stuttgart, et leur intérêt pour le Neues Hörspiel témoignent de leur volonté de dépasser disciplines artistiques, catégories et genres. Nous donnerons un aperçu du travail de l’« École de Stuttgart » dans ses principes, ses réalisations et ses relations avec les écrivains français pour ouvrir quelques pistes de réflexion sur les liens théoriques et esthétiques entre ces deux « écoles ».
11h 45 Jochen Mecke:Â Les techniques radiophoniques du Nouveau Roman
La recherche sur la poétique intermédiale du nouveau roman, tout en se consacrant à la relation entre roman et technique cinématographique, a presque complètement négligé l’influence que la radio a exercée sur l’esthétique de ce courant littéraire. Ceci est d’autant plus surprenant que des auteurs comme Michel Butor, Nathalie Sarraute ou Jean Thibaudeau ont écrit des pièces radiophoniques originales, et que par ailleurs il existe de nombreux points communs entre une technique radiophonique capable de capter le monde en temps réel (Kittler) et une esthétique romanesque encline à dépasser le domaine du symbolique et du sens. La communication, qui va s’intéresser plus particulièrement à l’œuvre radiophonique de Jean Thibaudeau, se propose de combler une telle lacune. Elle se propose aussi de contribuer ce faisant à écrire un chapitre de l’histoire de la radiodramaturgie française au sein de l’histoire de la pièce radiophonique en Europe, en mettant l’accent sur les nouvelles possibilités techniques que le « Neues Hörspiel » a apportées à la réalisation des recherches esthétiques du nouveau roman.
Séance animée par Annie Pibarot
14h30 Mireille Calle-Gruber:Â Claude Ollier, quand le texte dresse l’oreille
Claude Ollier, Ă l’aimable invitation de Werner Spies, a Ă©crit une quinzaine de pièces radiophoniques pour la radio allemande dont certaines ont Ă©tĂ© mises en onde sur France Culture. Claude Ollier m’ayant confiĂ© le tapuscrit de ses textes inĂ©dits, je propose dans un premier temps de faire un panorama gĂ©nĂ©ral de cet aspect peu connu de l’Ĺ“uvre du Nouveau Romancier, panorama en rapport avec une certaine poĂ©tique nĂ©o-romanesque de l’Ă©poque ; puis je concentrerai l’analyse sur deux pièces dont j’ai pu obtenir les enregistrements : L’attentat en direct et RĂ©gression. Il s’agira alors de considĂ©rer la palette des effets scripturaux et audio qui rĂ©sultent de ce genre singulier et qui rejoint les perspectives Ă©tudiĂ©es par Claude Ollier quant Ă notre relation Ă la langue maternelle et aux dressages culturels.
15h Aline Marchand:Â Vers une Nouvelle Audio-dramaturgie? Le laboratoire radiophonique de Robert Pinget
De Autour de Mortin (1962) au Chrysanthème (1973), Pinget se dĂ©fait peu Ă peu de son ethos de Nouveau Romancier sans avoir encore dĂ©fini et autonomisĂ© son théâtre vocal, lorsqu’il dĂ©laissera l’Ă©criture scĂ©nique. Dans ce laboratoire radiophonique, les mues gĂ©nĂ©riques (au cours de l’écriture, de la diffusion ou encore de la rĂ©ception) rĂ©vèlent un dramaturge qui hĂ©site entre deux types de reprĂ©sentation théâtrale et dramatise cette hĂ©sitation en jouant sur les codes et les scĂ©nographies. Cette communication entend montrer que, dans cette pĂ©riode charnière, le romancier de Minuit expĂ©rimente les limites (matĂ©rielles, formelles, cognitives) du mĂ©dium radiophonique pour esquisser une Nouvelle Audiodramaturgie contestant la voix comme principe d’identitĂ©.
15h45 Pierre-Marie Héron: Radio, livre, radio… Quand Pinget tourne autour de Mortin
Faisant suite à La Manivelle, adaptation d’un passage du roman Clope au dossiercréée en 1960 et 1961 à la BBC et au SDR de Stuttgart des années avant sa radiodiffusion en France en 1967, Autour de Mortin, publié aux Éditions de Minuit en 1965 avec le sous-titre « dialogues », est considéré comme la deuxième collaboration importante de Pinget à un médium auquel il va encore donner dans les années soixante-dix et quatre-vingt une dizaine de textes. En réalité, Autour de Mortin n’est pas de l’écriture radio, mais, ce qui est assez différent, un livre à lireconçu à partir de pièces radiophoniques publiées et / ou diffusées entre 1962 et 1964, et dont Mortin n’est pas à l’origine le nom de personnage fédérateur. Un livre que l’auteur et son ami Alain Robbe-Grillet vont ensuite utiliser pour monter aux auditeurs de la RTF un faux canular en 1966, au cours de l’émission Comme il vous plaira, Alain Robbe-Grillet. L’adaptation du roman réalisée pour l’occasion fera à son tour l’objet d’une diffusion sérieuse l’année suivante. La communication se propose de parcourir le chemin qui va des premières productions radiophoniques à l’adaptation française de 1967, en examinant les incidences des choix de médium et de format sur la composition et la réception des œuvres.
16h15 Marion Coste: Du théâtre aveugle au texte-partition : les œuvres radiophoniques de Michel Butor
Michel Butor a conçu deux œuvres spécifiquement pour la radio, Réseau aérien en 1962 et 6 810 000 Litres d’eau par seconde en 1965. La diffusion radiophonique l’amène à privilégier la dimension sonore du mot, transformant la grammaire du texte : l’impératif de faire sens, sans disparaître totalement, s’efface devant celui de faire chanter la langue. Cependant, le texte doit aussi compenser le défaut de vision de la radio en suscitant des images dans l’imagination du lecteur par le seul biais de l’audition, et servir de « partition » (Butor) aux récitants, ainsi qu’au lecteur qui ne bénéficiera pas de la réalisation radiophonique de l’œuvre. C’est sur ce passage de l’audible au scriptible que portera la communication.
Vendredi 20 novembre
Séance animée par Françoise Joly
10h Sarah-Anaïs Crevier-Goulet: Voix, féminin et érotisme dans Jules (1967) et Récréation (1967) de Monique Wittig
Ă€ partir de deux pièces radiophoniques inĂ©dites de Monique Wittig, je me propose d’examiner dans cette communication la troublante reprĂ©sentation du corps fĂ©minin, qu’il s’agisse de sa matĂ©rialitĂ© physique ou de sa dimension vocale. La RĂ©crĂ©ation qui raconte une sĂ©ance de massage professionnel prĂ©sente deux personnages fĂ©minins (U, la cliente et Z, la masseuse) qui ne cessent de parler du corps tout en le mobilisant concrètement. Le corps y est fragmentĂ©, dĂ©coupĂ©, dĂ©sarticulĂ©, mais un rapport de dĂ©sir n’en est pas moins latent. Je me demanderai si l’Ă©criture radiophonique implique un traitement du corps et de l’Ă©rotisme lesbien diffĂ©rent de l’Ă©criture narrative et par quels procĂ©dĂ©s scripturaux cette diffĂ©rence est mise en place. Seront mises en Ă©cho les Ĺ“uvres romanesques de Monique Wittig, en particulier Le Corps lesbien (1973) et L’Opoponax (1964). J’examinerai en parallèle la seule production radiophonique de Monique Wittig rĂ©alisĂ©e par France-Culture en l’an 2000, soit 30 ans après la rĂ©daction des pièces.
10h 30 Suk Hee Joo: L’Après-midi de Monsieur Andesmas de Marguerite Duras, version radio : un souvenir réactivé par une performance sonore
Dans cette pièce radiophonique, la mémoire fragmentaire des personnages se confond avec une mélodie instrumentale ou chantée répétée à plusieurs reprises. La répétition de ce chant, qui résonne à la fois pour les personnages et pour l’auditeur, reproduit l’effet d’un souvenir évoqué de différentes manières sans jamais faire l’objet d’un récit. Nous envisageons d’interroger, à travers cet exemple, la pratique durassienne de l’adaptation radiophonique qui permet d’introduire l’auditeur dans une mémoire fictionnelle réactivée par la performance sonore.
11h 15 Annie Pibarot: L’Ă©criture radiophonique de Marguerite Duras : „le sens exact de la théâtralitĂ©“
Les pièces radiophoniques occupent une place paradoxale dans l’Ĺ“uvre de Marguerite Duras : elles ne sont jamais premières mais peuvent apparaĂ®tre comme l’idĂ©al vers lequel tend son Ă©criture : un théâtre Ă©purĂ©, orientĂ© vers l’absence radicale d’images, un lieu oĂą se donnent Ă entendre pleinement les voix. Elles constituent des maillons au sein de la nĂ©buleuse constituĂ©e par les nombreux transferts, réécritures et hybridations qui sous-tendent son Ĺ“uvre. Il s’agira ici Ă la fois de dresser un panorama des contributions directes ou indirectes de Marguerite Duras Ă la radio et de s’attarder sur quelques cas oĂą l’adaptation radiophonique a dĂ©clenchĂ© d’autres formes de transferts gĂ©nĂ©riques et un approfondissement du projet crĂ©atif.
Séance animée par Pierre-Marie Héron
14h Joëlle Chambon: Voix, corps, incarnation : les pièces radiophoniques de Nathalie Sarraute
Le dialogue sarrautien, irréaliste, tout ensemble intime et impersonnel, souvent choral, pose à la mise en ondes des difficultés particulières. Dans la réalisation, l’interprétation, ou plus justement dans le nouage de ces deux dimensions, le « piège psychologique » guette. La description et l’analyse de quelques écoutes de réalisations sonores, et la comparaison avec les interprétations scéniques des trois premières pièces de Sarraute, nous conduiront à nous interroger sur le rôle que jouent la voix, le corps, et leur nouage, dans ce qu’on appelle le « jeu psychologique » – et plus largement sur ce qu’on entend par le mot « incarnation ».
14h 30 Marie-Claude Hubert: Beckett : le refus de l’image
Beckett a expĂ©rimentĂ© toutes les formes scĂ©niques, pièces de théâtre proprement dites, pièces pour la tĂ©lĂ©vision, pièces pour la radio (Tous ceux qui tombent,Cendres, Paroles et musique, Cascando, Pochade radiophonique, Esquisse radiophonique). Dans ces dernières, la parole, privĂ©e d’espace, se dĂ©ploie simplement dans le temps tandis que sur scène elle est mise en espace. Que recherche Beckett dans son théâtre radiophonique en Ă©vacuant l’image, en ne donnant Ă entendre qu’une voix sans corps ? C’est la question que je pose ici.
15h Charlotte Richard: Pochade radiophonique de Samuel Beckett : esquisse de dĂ©mystification de l’entreprise littĂ©raire
Esquissée au début des années soixante, Pochade radiophonique donne à entendre un procès-verbal qui tourne en scène de persécution. Dans cette courte pièce, Beckett met en ondes l’écriture littéraire au-delà des mots, à travers les coups, cris, silences, et autres « traits humains » qui ne mentent pas. S’inscrivant dans la quête d’un nouveau type de représentation, l’usage du médium radiophonique met en doute le langage et la validité de l’énoncé littéraire, dans ce qui constitue finalement un véritable procès du verbe.